Ma robe

Je profite du séjour de ma mère à Paris pour sortir avec elle. Ses visites se résument trop depuis quelques années à nous voir, à nous parler et à repartir sans avoir profité des attractions que propose la capitale.

Mais aujourd’hui, je la sens différente. Plus dispose, moins fatiguée d’un trajet où elle s’est laissée conduire, je la sens prête à s’enhardir dans la ville.

Je lui suggère l’exposition de Renoir, elle accepte et nous voilà parties.

Avant de gagner le grand palais, je propose de longer l’avenue Montaigne un aller et retour dans l’air vivifiant de l’hiver avant le piétinement du musée. Je la sais amatrice de belles confections mais pas forcément de mode. Elle a cousu longtemps apprenant de qui voulait lui montrer, un ourlet, une emmanchure, une pince. Elle avait à la maison toute une panoplie de patrons, le papier de soie me faisait dresser les oreilles. Des qu’elle sortait sa machine à coudre, j’arrivais et je la regardais faire sans faillir du début jusqu’à la fin. Si bien qu’adulte, je pus un jour coudre sans difficulté à mon tour.

Nous nous extasions devant les boutiques, nous scrutons les vêtements, nous découvrons les accessoires et les prix. Nous examinons les coupes, les coutures, les tissus. Nous jaugeons les modèles. Nous critiquons les mannequins parfois peu adéquats aux lignes des modèles. Nous extasions entre deux nouvelles sur untel et untel. La fin de la rue est arrivée si vite, elle est bien petite cette rue. Nous traversons.

Là, dans une vitrine, deux robes de soirée nous attendent. La première que je vois est celle qui se trouve à gauche (curieusement). Sa couleur rose soutenu m’a accaparé instantanément. Elle est composée de pétales ce qui lui donne l’aspect d’une fleur mousseuse et aérienne.

Je sais que cette robe me revient de droit. Mon père a créé une rose à laquelle il a donné mon prénom. Cette robe en est l’incarnation.

J’en ai le souffle coupé, tout est parfait la couleur la forme, le haut s’assemble en totale cohérence avec le bas. L’originalité de la conception, le tissu. Je suis subjugué, et le temps s’arrête.

Ma mère est aussi silencieuse que moi, pourtant au bout de quelques minutes, elle dit « je n’ai jamais rien vu de pareille, c’est splendide ».

Ses paroles me sortent de ma torpeur et je tourne la tête pour regarder ma mère, mais avant de voir son visage, mon regard s’arrête sur la robe à droite de la mienne. De la même facture que sa voisine, je la reconnais tout de suite. C’est la robe couleur du temps que réclame la princesse à son père dans le conte

Peau d’âne. Et me voilà partie dans la féérie de l’enfance où je passais mon temps à me croire une princesse. Je me déguisais avec un rien, les guirlandes de noël avaient beaucoup de succès, et je me trouvais la plus belle, certaine de revêtir de plus beaux atours encore lorsque je serai devenue adulte.

Je me bouleverse à ces ressouvenances. Il n’y a qu’une vitrine entre cette robe et moi entre ma robe et moi. Muraille du château de la belle au bois dormant, j’ai du m’endormir et ne jamais me réveiller. Je me sens si fragile tout d’un coup, j’ai perdu quelque chose de précieux.

Ma mère, que j’ai oubliée, est toujours silencieuse. Comme moi, elle tourne la tête de l’une à l’autre robe et semble hésiter ou bien ne se repait ni de l’une ni de l’autre.

Que pense-t-elle ? Qu’elle n’a pas eu la chance de se glisser dans ce chef d’œuvre ? Que de toute façon, il est trop tard, qu’elle n’a ni la silhouette, ni l’âge pour revêtir cette robe ?

Nous sortons quelques borborygmes et nous trouvons la force de nous détourner de nos rêves. Nous continuons doucement, tout doucement notre chemin en nous rapprochant l’une de l’autre. Renoir nous attend.

Le long de la rue, sur le retour, les vitrines ont perdu de leurs attraits.

Mais je suis de bonne guerre, je n’ai plus l’âge, ni la silhouette, je n’ai pas l’argent ni même l’occasion de me vêtir de cette robe, pourtant là au bout de la rue, dans la vitrine, la robe de couleur rose soutenu recouverte de pétale, c’est la mienne.

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2 commentaires pour Ma robe

  1. anne dit :

    Et pourquoi pas prendre le temps de la faire toi même cette robe ? ???

  2. Muriel dit :

    oula, je suis capable d\’assembler deux morceaux de tissus, mais là on est dans la sphère de la création. Je n\’en suis pas là !

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