La baignoire dans le jardin

Cet été, la maison de vacances était capricieuse. Elle nous a fait les cent coups jusqu’à éjecter la baignoire dans le jardin. C’est d’ailleurs très drôle de passer ses journées dans un jardin avec baignoire. On ne sait plus très bien où est le dehors et le dedans. Donc, dans la salle de bain, ne siégeait plus qu’un lavabo solitaire et égaré. A la réflexion "comment faire pour se laver" à celle de "je ne vais pas me laver" je passais allègrement, mais les jours s’étiraient et je devais rester dans la maison de vacances et ne pas me laver, finalement, m’était impossible. J’allais chercher dans mes souvenirs de petite fille toutes les fois où je m’étais trouvée devant un lavabo ou mieux face à une cuvette dans la même maison de vacances, qui à cette époque n’avait pas de salle d’eau du tout, et je pensai alors que ce serait rigolo de retrouver la sensation de l’événement.
Je me déshabillai et me retrouvai nue devant le lavabo. Aussitôt la perception de moi-même fut modifiée. Je me rendai compte que je n’étais pas souvent nue. Je sentai tout d’un coup la différence entre moi et l’air. Je pris le gant, le plongeai dans l’eau chaude de la vasque et le savonnai. Je déposai le gant sur mon avant-bras gauche comme à mon habitude et remontai jusqu’à l’épaule puis le cou et descendis vers le sein droit. Le gant retrouvait le chemin intime mille fois emprunté. Ma pensée suivait les pérégrinations du gant et variait selon le cheminement. Le vallonement de mes courbes ralentissait mon mouvement et je m’étonnais de ces nouvelles sensations. Les lignes droites accélèraient le tempo et je me posais des questions et y répondais parfois. Je m’apercevais que d’être nue nécessitait une sorte de courage, que toute les fois où je me croyais nue je ne l’étais pas. Sous la douche, l’eau m’enveloppe de ses filets et lorsque je fais l’amour, je m’habille de lui. Là, j’existais différemment sans intermédiaire. La toilette finie, j’étais plus vivante que jamais. J’avais eu l’impression que de me laver à l’air libre m’avait demandé plus d’effort que sous la douche. Habituellement l’eau qui coulait sur moi en continu me coupait du monde et m’enveloppait dans une douceur chaleureuse et réconfortante. C’est d’ailleurs ce que je recherchais dans la douche, un refuge pour oublier le monde et le reste par la même occasion. La toilette que je venais d’effectuer me mettait dans la situation d’effort, me dévoilait au monde, me révélait à moi-même et je comprenais pourquoi la douche était si accueillante. Mais je devais conclure aussi que j’avais l’esprit plus vivace lorsque j’étaie nue qu’habillée.
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